Né à Turckheim à la Saint-Martin en l'an 1923, Jean-Joseph Rosenblatt passa ses dix premières années dans sa ville natale, au coeur d'un vignoble réputé. Il fit ses études secondaires au Petit Séminaire de Zillisheim (1934-1939) puis au Gymnase Martin Schongauer (1940-1941). A cette époque il étudia l'harmonie avec l'abbé Gérédis, expert d'orgues et élève de F.X. Mathias, organiste titulaire de la cathédrale de Strasbourg.
La Faculté de Théologie de Strasbourg étant repliée à Clermont-Ferrand pendant l'occupation allemande, Jean-Joseph Rosenblatt étudiera à la Faculté de Théologie de Fribourg en Br. (1941-1943) avant d'être incorporé de force dans l'armée allemande, envoyé sur le front russe, puis après sa désertion, retenu en captivité au camp russe de Tambow. Après l'hospitalisation (1946-1947) suite à la captivité, il reprendra ses études de Théologie à la Faculté de Strasbourg (1947-1950) ainsi que ses études musicales (orgue) avec Fernand Rich, professeur au Conservatoire de Strasbourg.
Pendant ces trois années il se perfectionna en chant et accompagnement grégorien avec le chanoine Paul Kirchhoffer, directeur et responsable de la musique au Grand Séminaire et professeur au Conservatoire de Strasbourg. Pendant près de vingt ans Jean-Joseph Rosenblatt sera l'accompagnateur et improvisateur attitré des émissions de chant grégorien sur Radio Strasbourg réalisées par la Schola du Grand Séminaire sous la direction de P. Kirchhoffer.
Ordonné prêtre en 1950, Jean-Joseph Rosenblatt est nommé chapelain, organiste et maître de chapelle à la basilique de Marienthal, important pèlerinage marial en Alsace.
1953 verra Jean-Joseph Rosenblatt quitter la Basse Alsace pour revenir dans sa région natale où il oeuvre encore aujourd'hui. Nommé organiste titulaire de la Collégiale Saint Martin de Colmar, il sera chargé de l'enseignement de la musique sacrée dans le Haut-Rhin. De 1953 à 1960 il poursuivra ses études musicales à Paris avec Jeanne Demessieux et Maurice Duruflé, organistes réputés.
Par correspondance, il fera ses études de contrepoint, de fugue et d'orchestration. Il trouvera même le temps de faire de l'organologie pratique dans les ateliers d'un facteur d'orgues ce qui lui permet de dire "mon orgue d'exercice est un peu mon oeuvre".
Il exercera également comme professeur d'orgue au Conservatoire de Strasbourg (1955-1956) et comme professeur d'éducation musicale au Collège Saint André de Colmar (1957-1973).
Le titulaire des orgues de Saint Martin de Colmar fit nommer deux cotitulaires, Louis Patrick Ernst et Hubert Heller, respectivement en 1981 et 1993.
Jean-Joseph Rosenblatt fut également membre du Comité de l'Union Sainte Cécile, de la Commission Musicale de l'U.S.C., de l'Ecole d'Orgue Diocésaine (E.O.D.) et de la Commission Diocésaine des Orgues.
Son activité de compositeur est ininterrompue depuis sa nomination à Marienthal. Au service de la liturgie il composera tantôt pour son instrument tantôt pour les voix, souvent pour les deux. Grand interprète des symphonies (Franck, Widor, Vierne, Messiaen) "qui lui vont comme un gant", il joue aussi admirablement J.S. Bach. Jean-Joseph Rosenblatt compte actuellement parmi les grands improvisateurs à l'orgue.
Monsieur l’abbé, quel a été votre premier contact avec l’orgue ?
J’étais très petit encore. De toutes façons, à peine je pouvais parler, lorsque je voyais des
notes j’étais attiré ! Un jour alors que je devais avoir trois ou quatre ans, mon père m’a pris par la main et il m’a
emmené à l’orgue de l’église sainte Anne de Turckheim. A l’époque, l’accès à la tribune était interdit, mais mon
père a pu monter parce qu’il connaissait l’organiste qui s’appelait Dietrich. Et moi j’étais complètement fichu
d’émotion ; je me rappelle qu’en regardant l’orgue d’en haut, j’ai failli « tomber dans les pommes ! ».
A cette époque je n’avais bien sûr pas d’instrument, alors j’ai commencé à dessiner des touches. Juste avant la
guerre j’ai eu mon premier harmonium. Je l’ai eu de ma marraine, la sœur de maman. Elle avait utilisé ses
dernières économies pour pouvoir acheter cet instrument.
D’un autre côté, le curé était chic, il m’avait donné tout de suite la clé de l’orgue. C’était, bien sûr, sans compter
les risques qu’il encourait !
A partir de là, tous les moments libres, après l’école, pendant les vacances surtout, je montais à l’orgue. Tout
cela bien entendu en autodidacte. J’ai eu des formateurs, mais bien plus tard. J’ai broyé des traités d’harmonie
et des choses comme ça avant de prendre des leçons !
Où alliez-vous chercher des partitions, aviez-vous un lieu où vous pouviez en trouver ?
J’avais toujours l’oreille, et quand quelqu’un venait jouer à l’orgue de Turckheim, je pense
à Gérédis par exemple, et qu’il disait du bien de tel ou tel traité d’harmonie, immédiatement je m’arrangeais pour
le commander. Et puis, j’étais nourri de part en part de grégorien. J'ai tout de suite été très attaché à cette
musique. Le plan que je m’étais fait pour ma retraite qui a commencé le 11 novembre de l’année dernière,
prévoyait que je profite de cette retraite pour écrire ! Ecrire dans l’ambiance grégorienne, parce que les tas de
choses que j’ai éditées, c’était surtout pour rendre service.
Après cela, on m’a mis à Zillisheim. J’avais 11 ans. Et là j’ai d’abord volé des exercices chez le professeur
Goehlinger le professeur de musique de Zillisheim et mon prédécesseur à Saint Martin
... qui était craint, à 10 kilomètres à la ronde !
A cette époque, papa était contremaître à l’usine et il y avait cette maison fraîchement bâtie, la situation était
difficile. Partout où il y avait un piano ou un harmonium de libre, je fonçais dessus !
Et surtout j’étais moins préoccupé de lire que de jouer tout de suite ! Un dimanche matin, à Zillisheim, il y avait la grand messe où ce prof jouait puis il y avait une heure d’étude durant laquelle j’étais allé à un harmonium ! Moi je travaillais là sans autre complexe, lorsque tout d’un coup la porte s’ouvre et le prof rentre avec le prof de grec (qui allait par la suite devenir curé de Saint Martin). Il me dit : « tu as de la permission ? ». Je lui dis « oui ». Le prof a tout de suite dit : "c’est pas vrai ! ". Et il m’a donné une raclée. Mais j’ai pu prendre la fuite. A 11 heures il y avait de nouveau une étude que j’ai grillée et je suis allé à ce même harmonium continuer la musique ! C’est tout dire !
Jean-Joseph Rosenblatt et Hubert Heller
C’est ce qu’on appelle la douce obstination !
Oui c’était vraiment une maladie, un attrait épouvantable.
Quand vous étiez à Zillisheim, vous étiez bien sûr interne. A quelle périodicité reveniez-vous à la maison ?
A Noël et à Pâques ! C’est tout ! C’était la caserne à l’époque.
La musique pour vous c’était une manière de vous réfugier ?
Non même pas. Je faisais bien la part des choses. J’allais régulièrement à l’orgue à
l’improviste et s’il m’avait attrapé là je ne sais pas ce qu’il m’aurait fait ! Parce qu’il tapait fort. Il était craint.
Lorsque j’étais en classe de cinquième (c’était la cinquième C je m’en souviens encore) il y avait classe
jusqu’à 11 heures puis de 11 heures à midi il y avait étude. Le prof avait dit que ceux qui veulent rester pour
terminer une étude de littérature peuvent profiter de cette heure d’étude. Tout le monde est resté … sauf moi !
Je suis allé à l’orgue et j’ai joué à pleins tubes alors que la classe était juste à côté !
En 1938/1939 le collège a été vidé à cause de la proximité de la guerre. Une partie est restée à Guebwiller,
l’autre, c’est à dire les classes supérieures (dont je faisais partie, étant en première), est allée à Marbach.
C’était une merveilleuse année !
Le fameux prof de musique y était aussi, seulement il avait complètement changé. Beaucoup des vieux profs
avaient complètement changé à cause de l’ambiance générale.
Le supérieur de cette époque était l’ami de Mgr Weber. Ce supérieur avec lequel je m’entendais bien, était notre
prof de physique et il est devenu après coup supérieur du Séminaire de philosophie à Strasbourg. Il m’a dit :
« tu aimes jouer ? ». Je lui répondis bien sûr que oui. A partir de ce moment-là j’ai joué les messes sur un grand
harmonium.
Toujours en autodidacte ? Pour l’instant vous n’avez pas eu de professeur ?
Oui, toujours en autodidacte.
Après cela est venue la guerre. Marbach a été vidé et j’ai commencé au Lycée en 1940/1941. C’était l’Oberschule
à l’époque. C’est aujourd’hui le Lycée Bartholdi de Colmar. C’était divisé en deux établissements : Gymnasium
et Oberschule, mais dans les mêmes bâtiments, comme c’est encore actuellement.
Et là j’ai rencontré après une fête patronale l’Abbé Gérédis qui était invité à jouer. J’étais bien sûr ébloui parce
que c’était un improvisateur remarquable !
Il venait d’où, cet Abbé ?
Il était à l’époque curé de Muhlbach. Après ce contact j’ai commencé à travailler avec lui.
Il y avait l’orgue Roethinger juste à côté, un instrument électrique qui marchait bien et qui sonnait bien à l’époque.
Il était lui-même élève de Mathias, et il m’a donné des cours. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à jouer
systématiquement de la littérature. J’avais alors 16/17 ans et comme on est à cet âge-là, je ne voulais pas jouer
des petits morceaux à deux voix ! C’était la Toccata de Widor par exemple et je la bûchais jusqu’à ce qu’elle
soit parfaite. Et tout cela par cœur bien évidemment !
Sous la conduite de l’Abbé Gérédis, j’ai travaillé durant toute la guerre jusqu’à mon incorporation de force ...
Après le lycée, c’est la guerre ! J’étais incorporé de force (1943-1945). Après une brève période de formation, nous avons été affectés tout de suite à Lublin en Pologne (unité anti-partisans). Profitant d’un déplacement de la compagnie pendant le siège de Lublin, j’ai fui avec un Yougoslave. Une famille, dont la fille qui savait parfaitement le français, nous a hébergés jusqu’à ce qu’un PC russe soit installé dans cette grande ferme. Finalement nous sommes retournés à Lublin pour le rassemblement des prisonniers et ce fut le départ pour la Russie, le camp de Tambov, où j’ai séjourné du 6 octobre au 25 octobre de l’année suivante. A mon retour à la maison, je pesais encore 45 kilos et j’avais une tuberculose du péritoine. Je suis resté hospitalisé pendant un an à l’hôpital de Colmar. Durant cette hospitalisation, j’ai fait la connaissance de Monsieur Heller (père) et ensemble nous avons organisé la restauration de l’orgue de la chapelle de l’hôpital. J’avais hâte de reprendre mes études de théologie et je suis donc retourné au Grand Séminaire de Strasbourg.
Au séminaire j’ai eu les fonctions d’organiste titulaire. J’accompagnais le chant des séminaristes tant à la chapelle du séminaire qu’à la cathédrale les dimanches et jours de fête. Cela m’a valu d’être bien souvent invité dans de nombreux endroits pour diverses occasions. A la cathédrale, je jouais l’orgue de chœur mais également le grand-orgue. C’était l’époque de l’émission radio en direct depuis la cathédrale « Préparons le jour du Seigneur ». J’y accompagnais le petit chœur des séminaristes Le lutrin qui exécutait les chants grégoriens du dimanche à venir sous la direction de l’abbé Kirchhoffer. Pour ces émissions, auxquelles j’ai collaboré pendant une vingtaine d’années, je venais d’abord de Marienthal puis de Colmar. J’ai également participé aux enregistrements de disques par Studio SM, j’y accompagnais les chants et improvisais.
A ce moment-là vous preniez des cours ?
M. l’abbé Raymond Gérédis, aumônier à l’Institut des aveugles de Still et en même temps expert d’orgue, y fit construire un orgue monumental par la Maison Schwenkedel. Là, j’ai continué à travailler l’orgue, surveillé par l’abbé Gérédis. Avec l’abbé je travaillais aussi l’écriture et l’harmonie ; à l’orgue il me guidait en me faisant entendre des pièces et lorsque ça faisait tilt je disais : « Voilà, c’est ça que je veux travailler. » Les abbés Kirchhoffer et Gérédis m’ont facilité les contacts avec les moines de Solesmes pour parfaire mes connaissances grégoriennes. Durant les années de séminaire, j’ai pris des cours d’orgue chez le professeur Fernand Rich, enseignant du Conservatoire de Musique de Strasbourg. Une fois ordonné prêtre en 1950, j’ai joué pratiquement toutes les inaugurations d’orgue, toutes les consécrations d’églises reconstruites (et il y en avait beaucoup après la guerre).
Vous étiez vicaire et organiste à Marienthal, avez-vous succédé à quelqu’un ?
Je fus nommé vicaire, chapelain, organiste et maître de chapelle à Marienthal. J’y suis resté de septembre 1950 à 1953. Il n’y avait pas d’organiste attitré ! Un certain nombre d’instituteurs retraités y rendaient service. A Marienthal, j’ai pris contact avec l’organiste de Haguenau qui était lui aussi instituteur. C’était un organiste remarquable ! J’ai continué mes études de grégorien par correspondance. Marienthal est un lieu où l’on vit surtout à la Basilique, soit pour les offices, soit pour les confessions. Pendant ces trois années, j’ai entendu plus de confessions que durant tout le reste de ma vie ! Je dirigeais également la chorale.
Mais je me suis réjoui lorsque l’abbé Binder est arrivé de Colmar en mobylette pour me demander si je ne voulais pas venir à Colmar. Je lui ai répondu : « Mais bien sûr, et pour de multiples raisons ! ». Je fréquentais la Cathédrale Saint-Martin de Colmar à titre privé depuis longtemps ; j’allais même parfois au presbytère chez l’ancien curé et je connaissais l’ancienne équipe de vicaires. Cette nomination s’est faite très vite. Je suis arrivé pour la fête des maraîchers en 1953 où j’ai joué mon premier office.
Quelle a été votre mission à Colmar ? Etait-ce en lien avec ce qui se faisait dans le cadre de l’Union Sainte Cécile ?
Ma nomination par l’Evêque de Strasbourg, certainement proposée par Mgr Hoch, était formulée ainsi : « Vicaire à Saint Martin de Colmar, détaché comme organiste et responsable de l’enseignement de la musique sacrée dans le Haut-Rhin. » De l’Union Ste Cécile je connaissais surtout les Assemblées générales avec Mgr Hoch. Par ailleurs j’avais connaissance des fêtes cantonales des chorales auxquelles j’étais quelquefois invité. J’ai encore continué cela un certain temps, mais cela devenait de plus en plus pénible !
Il fallait donc fonder cette école de musique sacrée et la faire tourner. J’ai pris rendez-vous avec Jeanne Demessieux, après un concert du 11 novembre (Saint Martin). Pour avoir un second avis, j’ai rencontré Maurice Duruflé et j’ai finalement travaillé avec lui, en privé, de 1953 à 1957. Cela m’a permis de connaître André Marchal et Gaston Litaize, qui donnait beaucoup de concerts à Marienthal et à Colmar. Je le connaissais aussi par l’Institut des Jeunes Aveugles où je me rendais avec l’abbé Gérédis. Mais le nombre de mes élèves allant croissant, j’ai dû mettre un terme à mes voyages à Paris si instructifs et riches en rencontres. Dans les années 1960 j’avais environ 53 élèves par semaine. J’ai dû réduire la durée des leçons à 30 minutes. J’ai donné des cours de piano et d’orgue, parce qu’il y avait toute une série d’élèves qui commençaient le piano à cette époque-là. Après, je n’ai plus pris les débutants. D’ailleurs il faut aussi dire que l’enseignement musical était assez pauvre à l’époque. Il n’y avait pas toutes ces écoles de musique et tout cet engouement des jeunes pour la musique. Entre temps sont venues s’ajouter les classes de musique du collège Saint André, 4 heures en tout, car il n’y avait que 300 élèves. Je suis resté là de 1967 à 1973 ; mais la tâche était devenue trop lourde. Aussi ai-je proposé à l’un de mes anciens élèves, Jean Michel Ritter, de prendre ma place.
Je pouvais désormais me consacrer au reste et les choses se sont multipliées. On a commencé à donner des concerts à l’extérieur, à Fribourg, puis progressivement on me demandait : « Vous ne voulez pas venir chez nous ? », c’est à dire dépanner, faire les répétitions, le travail avec les petites chorales, avec les sœurs, les laïcs, à Strasbourg, à l’Ecole Normale (cours de grégorien), à Mulhouse, à Landser et à Mariastein, en particulier avec l’organiste.
Je crois que vous avez enseigné une année au conservatoire !
Oui, c’était en 1957, je crois. C’était à peu près en même temps que le collège Saint-André, parce que j’ai dû bloquer les cours sur une journée pour pouvoir assurer les cours à Strasbourg. J’étais professeur d’orgue du Conservatoire de Strasbourg entre le départ de Jean Giroud retourné à Grenoble et l’arrivée de Michel Chapuis. J’avais la classe catholique. Les élèves protestants allaient chez André Stricker et chez Charles Muller.
Pouvez vous nous parler un petit peu de cette redécouverte de l’orgue mécanique quand M. Chapuis est arrivé à Strasbourg ?
Cela c’est presque fait automatiquement ; la facture d’orgue avait fait de tels progrès que la traction mécanique s’est pratiquement imposée d’elle-même, malgré certaines batailles d’arrière-garde !
Jean-Joseph Rosenblatt et Marc Baumann
Il me semble que la restauration du grand orgue de la Collégiale St Martin de Colmar a largement bénéficié de ce nouveau courant en faveur de la traction mécanique ?
Effectivement ! Nombreux furent les « médecins » à se pencher sur notre orgue très malade et dont on ne savait pas si on allait pouvoir le sauver ou s’il fallait l’achever. Les organologues et experts d’orgue se succédaient au chevet du malade. Ils avaient pour nom Gérédis, Ringue, Chapuis, Schaeffer et beaucoup d’autres encore. Les avis étaient bien souvent divergents. Ajoutez à cela la petite guerre que se livraient les facteurs d’orgue…. Un voyage d’étude en Allemagne du Nord, en particulier la découverte des orgues Schnitger, fut certainement déterminant. Aussi avons nous pu inaugurer notre instrument actuel à traction mécanique en 1979.
Et finalement, ce renouveau de l’orgue a-t-il correspondu avec le renouveau de la liturgie et avec Vatican II ?
Oui, et il y a tout un bouleversement qui s’est opéré aussi au niveau de l’écriture. Je m’y étais préparé grâce aux cours de contrepoint, de fugue et d’orchestration par correspondance avec l’Ecole Universelle. Dès la parution de la Constitution sur la Liturgie je me suis mis à la recherche de bons textes en français et j’ai composé à ce moment-là pour les grandes fêtes (Noël, Pâques, Pentecôte), et pour d’autres occasions aussi, des chants d’entrée et de communion pour chœur, assemblée et instruments. A cette époque, il y avait encore l’orchestre de Colmar qui fonctionnait avec André Roth à la Cathédrale. Dans mes compositions j’ai privilégié les cuivres, solution la plus économique.
Vous le grégorianiste, avez-vous eu du mal à passer aux compositions nouvelles avec texte vernaculaire ?
Aucun problème ! Je me suis résolument engagé dans la musique liturgique postconciliaire en ce qui concerne la musique vocale. Mes pièces d’orgue, par contre, était souvent d’inspiration grégorienne, soit par la thématique, soit par le langage modal.
Sans attendre d’éventuelles commandes j’avais le projet de composer toute une série de petites pièces d’orgue dans les différentes tonalités mais aussi pour les différents temps liturgiques. Mais mes yeux en ont décidé autrement : je ne reconnais plus les gens, tout est dans le brouillard . Quand on ne me dit pas le nom, je ne vois pas qui est devant moi. C’est désolant ! Heureusement j’ai un tempérament optimiste !
On fête cette année les 30 ans de l’École d’orgue diocésaine, à la création de laquelle vous avez participé. Quel conseil donneriez-vous à un jeune organiste qui commence aujourd’hui ?
Aux débutants je faisais toujours jouer les exercices techniques du « Pianiste virtuose » de Hanon en évitant les claviers électroniques bon marché. Un bon toucher est essentiel. Les élèves sont toujours pressés de jouer de la littérature, jouer des morceaux ! Ensuite il faut leur donner le goût du service liturgique : accompagner une messe non pour gagner des sous ou être invité à table, mais pour rendre un service à la communauté. « L’organiste ne doit pas jouer un office, mais il doit célébrer un office en jouant». On sent tout de suite si quelqu’un vit ses convictions religieuses. Lorsque le chanoine François Xavier Mathias tenait les grandes orgues de la cathédrale de Strasbourg, on sentait que c’était le prêtre qui jouait.
Mais les temps changent, et il y a moins de monde qui va à l’église, de moins en moins d’organistes aussi, comment voyez vous l’avenir de l’orgue ?
Aujourd’hui, les jeunes ont tout à portée de main, ils ont les éditions, ils ont les disques ! Tout leur arrive d’un seul coup. Et même sur l’ordinateur à domicile ! Malgré cela je compte sur un certain besoin fondamental de l’être humain. Après un certain temps, on en a marre des facilités ! Il ne faut pas négliger les besoins fondamentaux, non pas du musicien seulement, mais de l’être humain en général. Là où il n’y a pas d’effort, on a des loques, des épaves... Mais il ne faut surtout pas désespérer ! Il faut rester optimiste dans le bon sens du terme (pas naïf !).
Merci, c’est une belle conclusion ! Ce fut un plaisir et un honneur pour moi de pouvoir réaliser cette interview. Je tiens ici à remercier mon Maître pour tout ce qu’il m’a apporté. C’est un attachement réel et profond qui me lie à lui. A chaque fois que je m’assieds à la console des grandes orgues de la Collégiale Saint-Martin de Colmar, à « sa » console, j’essaye de tout mettre en oeuvre pour être le plus digne possible de mon prédécesseur à cette tribune.
Transcription Hubert Heller
UNION SAINTE CECILE